samedi 25 septembre 2010

Carnet de bord 1987 - 1988

6-7 juin 1987. Après une matinée agitée (je me suis fait engueuler par Mme C. la prof d'économie, parce que je n'ai pas pris de notes durant son cours), nous sommes partis, tante Gé, les parents et moi) au mariage de Marguerite et Patrick, et nous sommes arrivés à l'hôtel 'Le Cocagne" à Saint-Félix de Loraguais. J'ai pris une bonne douche et à 4h00 nous sommes allés à la messe puis à la réception où j'ai ingurgité une quantité effroyable de jus de fruit, de cocktail et de petites pizzas.
J'ai passé toute la soirée avec Bénédicte, que je n'avais pas vu depuis bien longtemps et que j'ai trouvé très sympa. Impressions plus mitigées pour notre cousine W. Nous nous sommes couchés à 2h00 du matin. Je me suis réveillé à 8h00 et j'ai pris une douche. Nous sommes descendus pour prendre le petit déjeuner avec Bénédicte et tante Marie-Claire, petit-déjeuner d'ailleurs fort douteux ! Puis nous sommes allés à la messe du village à 11h15. Début de l'année mariale. A la sortie, nous avons décidé d'aller nous balader sur les bords du lac de Saint-Féréol, mais il faisait trop froid. Nous sommes donc retournés déjeuner chez les R. "en petit comité". Au bout du quatrième verre de champagne, j'ai commencé à ne plus voir très clair. Après avoir regardé la finale messieurs de Roland-Garros, au cours de laquelle Lendl a gagné, nous sommes repartis pour Bordeaux. En cours de route, nous avons été obligés de nous arrêter sur l'autoroute à cause d'un orage d'une force incroyable et qui a fait beaucoup de dégâts à Bordeaux. A la maison, la gouttière du garage s'est écroulée.
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8 juin 1987. Je me suis levé à 9h00 et j'ai traîné pendant toute la matinée. Tante G. est venue déjeûner à la maison. J'ai téléphoné à François qui passe la journée à Macau avec sa mère pour planter les tomates ! Je suis resté bien tranquillement à la maison, à cause du temps qui est complètement nul et après le dîner j'ai regardé un film de Belmondo complètement nul !
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9 juin 1987. Je me suis levé à 7h15, j'ai pris mon petit-déjeûner puis je suis parti pour la classe. Cet après-midi, j'ai eu un 19 en histoire, malheureusement les notes ne comptent plus ! Ce soir, les parents ont invité du monde à la maison, avec un peu de chances je pourrai peut-être regarder un film à la télévision.

jeudi 9 septembre 2010

Paris 89

'Tu imagines, j'étais dans le sofa du salon. Le père de famille était calé dans son fauteuil, à côté de moi. Il buvait sa bière devant le journal télévisé irlandais, en marmonnant à moitié. Tout d'un coup, les images du 14 juillet sur les Champs Elysées défilent. Il ne m'avait pas adressé la parole depuis mon arrivée. Et là, paf. "Qu'est ce que c'est beau !" Et puis, le ponpon... Un truc du genre "It's always like that in France ?"
'J'étais bien obligé de lui répondre. Alors je lui ai dit que c'était la fête nationale, mais que cette année, Mitterrand avait décidé de faire dans le festif' continue Paul.
'Comme çà, à brule-pourpoint, tu lui as vanté les mérites du Bicentenaire ?' rétorque François, soupçonnant un embellissement de la discussion. 'J'aurais bien aimé être là !' En réalité, il redoute peu un gauchissement de son ami. Mais il sait en revanche que son niveau de langue ne permet pas à Paul de se lancer dans de subtiles explications historiques. 'Il ne va tout de même pas me faire croire qu'il parle couramment parce qu'il a fait un séjour d'un mois à Dublin!' pense-t-il. La carte postale représentant l'entrée de Trinity College, et envoyée de la capitale traduisait surtout l'ennui se dégageant des cours de civilisation et la recherche d'une âme soeur même transitoire. 'le sous-pirant' était d'ailleurs le surnom peu amène qu'il lui réservait en privé. 'Quand je pense qu'il aurait pu demander à faire un séjour linguistique à Londres. Je lui aurai glissé quelque chose à laisser devant le 10 Downing Street, en l'honneur de Lady Thatcher... 'Il n'a pas voulu, parce que son père a passé quelques semaines à Londres après son bac.' 'Quel sot'.
En attendant, les deux conspirateurs forcent leur pas afin de précéder le groupe. En cette fin d'après-midi automnale, le froid pique les yeux malgré la pluie du matin. Le soleil rasant lèche les façades et éclaire la statuaire du pont de la Concorde. En se retournant, Paul remarque le fronton de l'Assemblée Nationale, déjà plongé dans une semi-obscurité, déjà oublié des rayons. François cache sous son manteau un paquet mal enveloppé qui gêne son allure. Ils ne tiennent pas à se faire voir, pas encore en tout cas.
'Le monde doit savoir que je garde en mémoire cet épouvantable régicide' prononce dents serrées François. Il attend un acquiescement, qui ne vient pas. Paul a tellement entendu sa vieille tante fustiger la Répugnante, conspuer Robespierre et le bourreau. "Honorer la mémoire de Cadoudal et du duc d'Enghien" et maudire l'usurpateur Bonaparte est une antienne qui revient à chaque passage chez la cousine de son père. Il ne prête guère attention aux récriminations de son ami. Quand bien même, il sait qu'il ne parviendra pas à faire comprendre au président du cercle girondin des amis et fidèles de l'Empereur (Cegafe) - cercle composé de deux membres, et dont les statuts rédigés à la plume d'oie sur papier torchon restent à déposer à la préfecture dudit département - qu'il ne peut sans risque de contradiction participer au culte du roi-martyr. Louis XVI mort sur la Concorde lui permet de donner du crédit à son personnage de hobereau de province vaguement monarchiste. Paul en attend des retombées galantes.
Arrivés sur un trottoir de la place, ils ralentissent brusquement. Les deux lycéens se trouvent confrontés à une situation qu'il n'avait pas envisagé. Pour déposer un bouquet d'oeillets au pied de l'Obélisque, ils devaient attendre que les voitures cessent de circuler. Or le flot non seulement ne se tarit pas, mais il paraît au contraire s'intensifier. Les provinciaux contemplent interdits la circulation automobile

Bac français 88

'Le lycée Jules Michelet ?' répond le vieil homme à la portière de la voiture. François n'écoute pas la réponse, obsédé par ses notes de lectures, feuillets racornis posés sur ses genoux. 'Quel rapport Boris Vian entretient-il avec Sartre ? Bon sang?? Il tourne et retourne son paquet de fiches, sans trouver la réponse à sa question. En même temps, il préfère rester silencieux plutôt que de révèler aux autres son embarras. Assis sur le siège arrière, personne ne le voit s'agacer. Paul s'agite quant à lui, installé à gauche de sa belle-soeur qui a proposé de les conduire sur les lieux de l'examen. Sans savoir que l'itinéraire réservait quelques surprises.
"Vous y êtes, au prochain croisement, sur la droite. Vous pouvez pas le manquer ?" Au moins rassuré sur ce point, et alors que la voiture repart en trombe, Paul repense à son estomac barbouillé. Pour calmer son appréhension, il s'est resservi généreusement à table. D'habitude, les échalotes revenues sur le steack haché le ravissent. Aujourd'hui, elles lui remontent à la bouche, pendant que les frites semblent grossir. "Tu vas avoir un placard sur l'estomac" a prédit sa mère. Ces lourdeurs lui pèsent moins que son interrogation profonde. Car il y a au bac trois sujets au choix. Leur professeur de français a préparé la classe au commentaire composé, avec des incursions sur le résumé. Paul s'est montré médiocre sur les deux tableaux, et rêve d'un éclat grâce à la dissertation. "Qu'est-ce que je vais choisir, si le texte proposé est facile ?"
Sa belle-soeur remplit le silence, en racontant son oubli de papiers le jour de l'oral du bac. "En tout cas, je reviens vous chercher à 18h00" "Ah, voilà, çà y est... Les Temps modernes. Vian collabore à la revue de Sartre, pendant deux ans. Il s'en éloigne dès 1947, pour ne pas suivre la ligne politique du philosophe" lit tout haut François. Pourquoi tu sors çà maintenant ? demande Paul. "Je ne me souvenais plus du détail" Le moteur tourne au ralenti, la voiture stationne le long du trottoir. D'autres candidats marchent d'un pas pressé et s'apprêtent à franchir le portail. "Est-ce que je peux laisser mes notes ici" demande François à sa conductrice, sans écouter la réponse, il claque la porte. Paul sourit péniblement et envoie un bref "merci-à-tout-à-l'heure" d'un seul souffle. Puis court rattraper son ami qui a traversé la rue à grandes enjambées.
Des arbres, la pelouse verte des pluies du printemps. Tout sourit aux lycéens tremblants qui forment un attroupement au pied de l'escalier de béton. Façade terne. Sur les panneaux, les listes indiquent les noms et la classe. ... et ... ne sont pas dans la même classe. François s'insurge tout fort. Ils" t'ont mis à D; ils ne savent même pas qu'une particule est notée entre parenthèse, que le patronyme sert seul." Paul a d'autres chats à fouetter " çà va, çà va". Il n'aime pas se faire remarquer

Présidentielles 88

Paul range sa chambre. Comme si le désordre régnait. Rien ne traîne, mais il trouve des tas de feuilles à rassembler en tas. Sur le valet de nuit donné par sa mère, rien ne dépasse. Les chaussures cirées sur la petite tablette la plus proche du sol, au-dessus des roulettes. Le pull-over repose sur le pantalon. La chemise du jour est enfilée sur le dossier. Plus près de la fenêtre, sur les tablettes de l'étagère, les livres s'empilent par ordre de taille, le plus large en dessous. Les albums de timbres remplissent un côté, dont la tranche se couvre de poussière. La collection de Jules Verne reliée à la Bradel par la mère de Paul occupe l'étage supérieur du petit meuble en pichepin, qui fait la fierté du jeune homme. Reste la table éclairée par le jour finissant. Quelques chemises, les cours de la semaine, deux ou trois manuels, trois volumes de la collection des Lagarde & Michard : Paul s'attaque à ce négligé. En réalité, il entend la télévision dans la chambre de ses parents, de l'autre côté du mur.
Son frère installé dans le fauteuil a exclus toute négociation sur le programme de la soirée. Entre un jeune professeur d'histoire-géo et un adolescent de seize ans, les voix ne pèsent pas pareil dans l'urne domestique. Leurs parents dînent en ville. Paul voulait regarder un film. La politique ne l'intéresse que par intermittence. François a placé la barre très haut, ces dernières semaines. Avant le premier tour de la présidentielle, son ami a focalisé toutes leurs conversations. Il faut reconnaître que dans la cour du lycée, les prises de position de François excède la patience des plus modérés.
Sur le thème de "Barre, le candidat du centre-mou" il cherche à croiser le fer avec tous ses contradicteurs. Beaucoup le regrettent amèrement, car le jeune homme a pris fait et cause pour le candidat de la droite, premier ministre en exercice. Il n'est pas chiraquien, il est Chirac lui-même, vantant les mérites des ministres, y compris le plus suspect auprès de lycéens idéalistes et animés par des idées généreuses. Pasqua, "le tueur de Malik Ousssekine" lors des manifestations étudiantes de décembre 1986 est l'épouvantail de la jeunesse par excellence ? François prononce son nom Pasqua à chaque bout de phrase.
Paul a bien saisi que le premier tour de la présidentielle a marqué une étape imprévisible. Beaucoup ceux qui espéraient Barre comme candidat du second tour face au président sortant ont déchanté. Mais personne ne misait sur un tel score pour Mitterrand, largement en tête. L'annonce des résultats à Caudéran a immédiatement refroidi l'atmosphère familiale fin avril. Aujourd'hui, les deux vainqueurs du premier tour s'affrontent au cours d'une joute télévisuelle. Paul n'a tout simplement pas envie de les écouter. Il veut en outre manifester sa mauvaise humeur, et se fait un point d'honneur à rester dans sa chambre. "Avec son sourire satisfait, il va encore clamer sur les toits qu'il m'a empêché de m'abrutir devant un film stupide".
Lorsque l'échange commence entre les deux candidats, Paul ne peut cependant se retenir. Il tend l'oreille. Un peu plus tard résonne "Mais vous avez tout à fait raison, monsieur le Premier Ministre"... Paul surgit de sa chambre pour scruter les visages. "Pousse-toi, tu es devant..." "Ainsi, voilà la politique, une sorte d'art de la conversation qui renvoie à peu de choses l'évaluation de la dette publique, la signature de l'Acte unique ou l'avenir de l'URSS". Paul ressent la décharge électrique. Car on tue en direct. Et il ne souhaite pas mourir. Dans un silence pesant, débout quand son frère reste assis, il assiste à la fin du duel. Quand on apprend quelques jours plus tard, la nette réélection de François Mitterrand, il repense au débat télévisé, comme à un moment d'histoire vécue en direct.
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Chez François, la soirée ne se déroule pas de la même façon. Sa mère a refusé de rester à Bordeaux. "Les vieux, e bastante. Ta politique, j'en ai marre. Ras-le-bol.". Les élections lui importaient moins que son jardin potager. Elle a quitté l'appartement en début de matinée, s'est arrêtée à la mairie pour voter - "pas question de voir revenir les communistes" - a hésité en sortant. Les cloches sonnent et les vieilles caudéranaises se pressent pour gravir les marches du perron. "Pitié... ils sont partout" Tant pis, j'y vais." " Deus escreve certo por linhas tortas "...
François n'est pas sorti de l'après-midi. Il aurait pu téléphoner à Paul pour jouer au tennis, mais a tergiversé. Hannibal et César s'amusaient sur le bord de fenêtre. Il les a pourchassés à travers la cour, puis les a fait courir avec une petite boîte de sardines en conserve attachée à une ficelle. Au bruit, les deux chats se précipitaient déclenchant un éclat de rire de François dissimulé derrière un angle de la maison. Le bruit a certes fini par réveiller les locataires du rez-de-chaussée. Après le goûter, il a repris ses révisions de français. A 19 heures, ne tenant plus en place, il a commencé à préparer le dîner, en l'absence de sa mère, des carbonara à la crème.
politiques. La chaîne publique allumée - la principale chaîne privée, François la boycotte pour cause de barrisme outrancier - il écoute les résumés des journalistes sur la participation et sur les enseignements du premier tour. A 19h50, les nouilles finissent de cuire. Les lardons dorées baignent dans la crème fraîche fondue, prêts à être mélangés ; bien grillés, mais non flambés en vertu de la croisade anti-alcoolique de l'adolescent. Une fois égouttées, il jette les nouilles dans la poële, remue d'un geste mécanique, puis rejoint la salle de séjour. Les deux journalistes annoncent "dans quelques secondes " le nom du prochain président de la République. Les premières notes de Money for Nothing résonnent dans la pièce. François exulte.
Voilà la minute qu'il attendait depuis longtemps. Il esquisse un pas de danse : Dire Straits qu'imaginer de mieux pour illustrer la victoire de Chirac. "A qui cette mobilisation des électeurs a profité, nous le savons..." François n'entend plus, il joue les accords de Mark Knopfler à la guitare ; seul, car à la télévision, le visage de l'élu se dessine. Mais François ne doute pas, il sait... ou croit savoir. A tue-tête, il entonne le premier couplet.
"Now look at them yo-yo's that the way you do it.
You play the guitar on the MTV.
That aim's working that's the way you do it.
Money for nothing and chicks for free."
"François... Françoaaa" Sa mère porte une cagette de fraise, et des sacs de légumes. Ses bras encombrés frottent dans l'embrasure. Ses cheveux frisés dépassent tout juste. François sautille sur un pied, l'autre jambe repliée, la main gauche grattant une guitare électrique imaginaire. Tout d'un coup il entend sa mère, tourne la tête, voit la figure du président réélu à l'écran. Deux sauts de trop le font atterrir sur la table basse installée devant le canapé. Son tibia heurte bruyamment le rebord carrelé ; son corps bascule par terre. Toute la scène a duré un quart de seconde. Cette fois sa mère se tait, pose ses ballots comme elle peut et se précipite à la rescousse. François a mal mais pense essentiellement à l'image. Il ne veut pas se relever. Dans un souffle, il prononce les deux syllabes d' "Eteints".

Mme Souvert 87

Paul trouve le cours d'espagnol reposant, parce qu'il exprime mieux sa pensée qu'en cours d'anglais. Et puis, quand même, depuis l'année de troisième., c'est la première fois où il se retrouve à côté de François en classe. En LV2, les germanisants et les hispanisants ont été en effet regroupés. Deux ans après la fameuse quatrième, les deux garçons prennent un plaisir évident à être côte à côte quatre heures par semaine : trois plus une d'espagnol optionnel. Paul a mûri suffisamment pour ne plus appréhender les sautes d'humeur et les réactions incompréhensibles - pour les autres - de son ami.
Ce jour-là, Mme Souvert a mis à l'aise la classe. Avec une extinction de voie et les yeux qui pleurent, elle annonce un cours moins conventionnel, sans exercices de langue, ni éclat de voix parce que l'on a mis estar au lieu de ser. "Pour une fois, je vous ai apporté des reproductions de tableaux. Mais il va falloir choisir. On ne pourra tout étudier dans l'heure. "Elle ouvre son cartable et tire précautionneusemente, signe ostenstatoire de sa fatigue contenue par conscience professionnelle, une dizaine de planches. Il y a du Goya... "le 2 de Mayo" Pas de réaction dans la salle. Paul pressentant l'orage, croit bon de glisser un commentaire faussement désabusé... "C'est un peu vieillot". "Zurbaran, Velazquez on a parlé du siècle d'or dans le dernier texte" ... Bon vous préférez plus proche de nous. Regardez Miro. Ou mieux peut-être, un tableau de Picasso. Brouhaha intéressé. C'est une scène de tauromachie. Acquiessement manifeste. Paul lève les yeux. Bruit de bouche à sa droite.
"On rentre dans une zone de turbulences" pense-t-il. L'enseignante en lunettes noires et châle couvrant le cou annonce le choix retenu. "Maintenant, vous regardez le tableau. Je vous lis la plaquette" Corrida, La mort du torero - j'ai bien dit torero et non toreador - date de 1933. Picasso s'est intéressé très tôt à l'univers tauromachique. On peut citer les eaux-fortes de 1928, d'après un auteur reconnu, Jose Delgado, dit Pepe Illo. Il séjourne à deux reprises à Barcelone au cours desquels il approfondit ses connaissances. Au cours de la même période, le peintre réalise plusieurs oeuvres dans lesquelles apparaissent la fascination du combat entre l'homme et l'animal, mais aussi l'ambivalence sexuelle du torero. Sa maîtresse, Marie-Thérèse Walter prend parfois les traits de celui-ci. Dans 'la mort du torero', on retrouve la figure mythologique du Minotaure...' [source] Bien, voy a ocultar el final del comentario... Preguntaré despues
Paul scrute la reproduction, mais ne voit guère qu'une tentative naïve de représenter une corrida. Il sent bien que quelque chose lui échappe, mais ne parvient pas à rassembler ses idées. Tout se trouble pour se fixer sur un point de convergence. 'Je n'aime pas' Pendant ce temps, François a pris son cahier et s'applique à rédiger une réponse quand d'autres ont recommencé à papauter avec leurs voisins. Mme Souvert passe ensuite aux questions. Il apparaît très vite qu'elle cherche à obtenir la thématique générale du tableau plus qu'une description de la scène ou des détails sur la technique employée par Picasso. Par touches successives, grâce à plusieurs réponses imparfaites, l'idée d'une inversion de la mise à mort, au départ simple hypothèse, s'impose comme une sorte de vérité d'évidence. La pédagogue a fait parler en espagnol, introduit des éléments de civilisation. Etant donné son état physique, l'essentiel est acquis.
Sauf que François s'est tû. Mme Souvert n'a d'autre alternative que de lui donner la parole. François baisse le doigt, cale son cahier devant lui, et entame un long monologue sur l'arriération de la péninsule ibérique dans laquelle se maintiennent dans les années 30 des traditions d'un autre temps - il pense au Portugal plus qu'à l'Espagne - et expose sa position de principe vis-à-vis de la maltraitance des animaux. "Ils n'ont pas souhaité expirer dans des souffrances dignes du Christ sur la croix" Remous à sa droite. "Mais qu'est-ce qu'il va chercher encore ?" à sa gauche. A ce titre, l'effort du communiste Picasso mérite qu'on s'y arrête. Suit une analyse rapide du décès du torero, retourné par les cornes du taureau-minotaure.
François réussit cette prouesse de diluer son opinion dans le bain d'une critique artistique anodine, le tout en usant d'un espagnol préservé de grosses fautes de langue. Mme Souvert doit acquiescer. L'heure sonne et le défenseur de la cause animale savoure une victoire en rase campagne. Paul n'a pu glisser un mot, qui s'amuse souvent de cette lubie de son ami. Le disciple de feu Mr Bertrand ne mégote pas sur le succès... La sonnerie claironne la victoire de l'humanité sur la barbarie tauromachique. C'est en tout cas ainsi que le lycéen l'entend clore l'heure d'espagnol.

Rocamadour 1987

"Madame Dumont ?" Une dame de taille moyenne, habillée d'une robe à imprimés un peu désuette, et une ceinture rouge serrée au dessus des hanches se retourne de l'autre côté de la cour. François la rattrape en courant. Tous deux se dirigent vers la sortie. Comme je vous voyais de loin, je me demandais si par hasard, Ludovic serait libre cette semaine pour jouer au tennis avec moi ?" "Euh, c'est biengue possible. Je réfléchis... Non, il ne m'a rien dit de précis" Elle cherche à temporiser, parce que les parties nocturnes avec François se terminent plus tard qu'elle ne le souhaiterait. En même temps, pendant les vacances, il n'y a pas de réveil à mettre le lendemain. "Eungue tout cas, je lui eung parle et il te téléphone ! Tu es chez toâa, ce soaârrr ?" "Malheureusement, oui. J'ai promis à maman de faire les courses pour le dîner en sortant du lycée, puis de répondre au téléphone pendant qu'elle fait autre chose. A 20h, je serai libre, quand même." "Eh biengue, au moince, tu es gentile pour ta maman. Ludoo, si je lui dit de raânger sa chaâmbre, il m'envoie balader".
En marchant, ils ont passé le portique et se trouvent sur le trottoir du coin. Elle a sorti ses clefs de voiture. "Au fait madame Dumont" "Tu peux m'appeler Frangçoase" "Ah... Oui, je voulais juste vous signaler, comme vous siégez à l'association des parents d'élèves ; madame Trigollet, la prof de français de première A2 a affiché la liste des livres à lire. Sous-entendu qu'il faut acheter. Alors je sais bien, il y a le bac français à la fin de l'année prochaine, mais quand même... Vingt livres, çà me semble beaucoup en deux mois d'été" "Tu paânses queeuh c'est trop ? Toi, le boâne élève... Tu me caâches quelque choâse. Alleeêz, vide de toân sacqueuh" "çà m'énerve cet accent, elle pourrait tout de même faire un effort. Est-ce que je parle portugais, moi ?" s'agace in petto le jeune homme.
"Bon, alors pour tout dire, dans la liste, il y a quand même des ouvrages très tendancieux." "Teândaâncieux ?" François rosit, hésite puis ce lance dans une explication alambiquée sur Beckett, Ionesco et surtout Vian. Il complète sa liste noire avec Zola dont il précise que d'autres romans que celui retenu lui paraisse plus intéressants ; il garde pour lui son rejet de l'ouvriérisme misérabiliste de Germinal mais ne réalise pas que son interlocutrice regarde sa montre avec insistance. Elle finit par le couper au milieu d'une phrase sur la nécessité d'élever les esprits de la classe à la beauté classique. " "Mais où est le proâblemeuh ?" "En un mot comme en seul, En attendant Godot promeut l'athéisme, Le Roi se meurt vilipende la monarchie, pardon la démocratie, et L'Arrache-coeur se moque de la famille".
"Françoâh, note moaâh tous ces titres sur un papier" En même temps, elle tire un crayon et déchire un bout de page de son carnet. Il s'exécute avec plaisir. "Je vais téléphoner à madameuh Trigolletteuh. Elle va m'expliquer tout çàâh... Cette foaâh, il faut que je fileuh. Pour le tennisse, je transmets à Ludôo" "Aurre revoire Françoâh" "Vous ne lui parlez pas de moi, au téléphone, s'il vous plait" implore François. "Motusse" lui répond-elle en traçant une ligne imaginaire devant ses lèvres fermées.
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"Mon très cher ami,


Merci pour ta carte postale envoyée depuis un très haut lieu de la chrétienté. Faut-il te signaler la richesse du secteur du point de vue de l'art rupestre ? Je sais que tu n'as pas de liberté de mouvement. Mais saches que - si l'occasion vient à toi saisis-là - à quelques kilomètres de Rocamadour se trouvent des fresques d'animaux magnifiques. Tu connais mon goût pour les bêtes à poils ! J'ai justement profité de mon habituelle escursion à la bibliothèque municipale pour m'enquérir de ton lieu de retraite. Vois-tu, cette histoire médiévale soulève bien des questions. Fort des quelques notes prises sur place je te sollicite sur ces quelques points qui me tourmentent depuis lors.
La Vierge est-elle vraiment noire, compte tenu de mon information selon laquelle la statue a été taillée dans du bois de chêne ? Cette couleur m'indispose grandement, compte tenu des modes picturales qui ont prévalu depuis ailleurs. Tu n'as pas oublié le culte que Maman voue à Fatima. Noire, tout de même. Pourquoi pas rouge ?
Confirmes-tu la guérison miraculeuse d'un roi d'Angleterre ? Il s'agit d'Henri d'Angleterre en 1159, si j'en crois mes sources. J'ai noté en outre un passage bénéfique de Saint-Louis alors qu'il était enfant (1244). Quelle folie d'aller de l'autre côté de la Méditerranée défunter sur une plage ! J'ai la plus grande difficulté à comprendre l'esprit des Croisades. En tout cas Rocamadour, sous autorité anglaise : quelle belle époque ! C'est quand même un sacré coup de pouce pour me faire venir sur place. Autre point remarquable. On raconte qu'à la bataille de Las Navas de Tolosa en 1212, la bannière de la Vierge de Rocamadour aurait provoqué la panique dans les troupes musulmanes et expliquerait à elle-seule la victoire des armées d'Aragon et de Castille. Me le confirmes-tu ? Existe-t-il une plaque commémorative ? Tout cela me paraît fort stimulant.
Avant de clore cette missive, il me faut te faire part d'une bien triste nouvelle. Mr Bertrand n'est plus de ce monde. Il a rendu l'âme en fin de semaine dernière. La cérémonie avait lieu hier. J'étais le seul de Grand-Lebrun, aux côté du père jardinier - je ne parviens plus à me souvenir de son nom -. Ce dernier semblait un peu mal à l'aise mais m'a avoué en aparté qu'il éprouvait une réelle amitié pour le défunt, avec lequel il discutait souvent de botanique. Le cher homme lui a montré les facettes que tu avais le plus grand mal à reconnaître, aveuglé par ta passion pour les chasseurs et autres verseurs de sang animal. Mr Bertrand n'a pu savourer longtemps le parachèvement de sa grande oeuvre, le moratoire sur les assassinats de baleines.
"Le monde entier est un théâtre, et tous hommes et femmes n'en sont que les acteurs". Tous sortent de la scène sans s'y préparer". Sur ces quelques mots, je te salue bien bas et te souhaite un beau séjour à Rocamadour. Bonjour aux Périgourdines, c'est bien connu, elles aiment les coups de ce que tu penses. Cette dernière gauloiserie est uniquement pour te redire mon amitié, avec l'assurance de te savoir de retour bientôt,
François".
"Cher fils,
C'est de Royan que je t'écris, quelques heures avant de reprendre le train pour Bordeaux. Mes permissions ne commencent que dans une semaine, à peu près au moment où tu termineras ton chantier. Ton frère a pris ses quartiers d'été dans le Dauphiné auprès de sa future belle-famille. Aux dernières nouvelles, il flotte sur son doux nuage. Ta petite lettre est bien arrivée à la maison et nous a enchantés.
Cela m'amuse de te savoir à Rocamadour où nous avons si souvent été depuis Brive. Nous y étions passés il n'y a pas si longtemps à partir de Belvès, pour la marche des anciens du 126. Ce coin de France est épatant, même si nous l'avons admiré en automne, c'est-à-dire sans beaucoup de touristes. De la même façon, les fortes chaleurs auxquelles tu fais allusion sans t'en plaindre tranchent avec mes souvenirs d'une matinée froide, les mains gourdes et les yeux piquants. J'ignore si nous pourrons repartir cette année. Il y a ceux qui habitent trop loin et ceux qui n'ont tout simplement plus envie de bloquer un w.e. Les K. - Limoges n'est pourtant pas loin - ont d'ores et déjà annoncé l'an dernier qu'ils ne reviendraient pas.
Avant que je n'oublie, François a rapporté avant-hier en fin d'après-midi le livre que tu lui avais prêté, L'Arrache-coeur de Boris Vian. Il te fait dire que votre future professeur de français a placardé une nouvelle liste de livres à lire avant la rentrée de septembre. Elle a apparemment rayée Boris Vian, ce dont François s'est félicité. Je n'ai pas compris sa satisfaction sur ce point.
Il portait un costume sombre un peu étriqué qui m'a poussé à le féliciter pour sa tenue. François m'a alors longuement expliqué qu'il avait mis à la hâte le seul habit disponible. Celui-ci était trop petit, parce que sa mère l'avait acheté pour le mariage de sa marraine il y a deux ans. François avait appris au dernier moment la disparition de Monsieur Bertrand, votre ancien professeur de biologie en quatrième (ai-je bien compris ?). Ce n'était pas à la chapelle, puisque le défunt avait demandé des obsèques civiles. François m'a donc demandé mon sentiment, et si Mr Bertrand allait "brûler éternellement dans les flammes de l'enfer", je reprends son expression : quel phénomène que ton camarade ! J'ai un peu écourté la conversation, plutôt que d'entamer une réflexion sur les mérites éventuels de la crémation.
Il est justement temps de préparer mes affaires. Je te laisse à tes activités et posterai cette lettre à la gare pour qu'elle parte demain matin. Je t'embrasse affectueusement, avec ta maman bien sûr,
Papa."

Pinochet Tutu Gorbatchev.

Rentrée 1986.
François ont pressenti que le passage en troisième représente une étape dans leur amitié. L'attelage pouvait-il continuer dans la même classe ? Le dernier conseil des classes a tranché, en indiquant au proviseur l'expulsion des indésirables. Pour François et Paul, le père Müller et Mr Fortehr ont recommandé d'une seule voie la séparation ; l'un par simple rancune - il n'a pas de classe de troisième - l'autre par prudence. Il a encore redit que les notes de François justifiaient pleinement un passage, et selon toutes vraisemblances une réussite à venir au lycée.
Mais en regardant le proviseur, il a rappelé en tapotant du doigt sur sa table que François était capable du meilleur comme du pire. "Bon élève du point de vue des notes". Les prises de position bruyantes du collégien - "Elles ne même gênent pas sur le fond" - risquaient fort de perturber le déroulé du cours d'histoire-géo. Compte tenu du programme, sur le XXème siècle, Mr Fortehr a exprimé des craintes de dérapage. Il n'a pas été jusqu'à révéler un mot capté dans un couloir à son sujet. "La barrique ? Mais c'est comme çà que François appelle Fortehr... parce qu'il est gros et plein de vin rouge" L'allusion à son tour de taille et à son penchant pour la boisson - "un militaire ne peut se réfugier dans l'eau minérale - l'ont moins offusqué que la pique politique. Car il voyait bien que François parlait de lui comme d'un progressiste. Il le prenait en tout cas comme tel, sans avoir pu interroger l'intéressé. Le proviseur a écouté d'une oreille distraite.
En cette fin de première semaine de rentrée, le principal lui aussi présent repense à cette réunion. Il a le dossier de François ouvert sur son maroquin. Le soleil rentre franchement par la fenêtre entrebaillée. Les élèves de la cour de quatrième - troisième sont en récréation. Le bruit le distrait généralement, mais il veut en même temps profiter de l'air frais de la matinée. Dans l'après-midi, malgré l'ombre, son bureau s'imprègne de l'odeur du goudron chauffé. L'été fenêtres fermées, un peu dur quand même... "Bon, alors il n'y a vraiment rien à lui reprocher à ce garçon". C'est un surveillant qui l'a prévenu d'une bagarre derrière les préfabriqués du fond de la cour, la veille. Le brave homme ne semble pas avoir très bien compris les tenants et les aboutissants. Un brave garçon en culotte courte est venu l'avertir de l'incident, le tirant de sa méditation sru Sauf que François portait un badge au pull, avec un message politique qui avait fait sortir de ses gonds le fils de Mme Couvert, la prof d'espagnol du lycée.
L'agresseur écope de deux heures de colle plus deux heures de TIG. Mais Mr Duc tient à voir l'autre protagoniste. Deux coups brefs sans retenue le surprennent. "Entrez". François, le visage un peu contusionné, avance de trois pas. "Bonjour François. Ne reste pas là, raide comme la justice. Prends le siège" dit-il en désignant une coque en plastique orange brique posée sur quatre tiges en fer. Le collégien s'exécute. "Alors qu'e t'est il arrivé hier après-midi ?" Son interlocuteur affiche une mine renfrognée.
"Ecoutez, Mr Duc, hier était une journée lourde au plan émotionnel." "Pourrais-tu t'expliquer un peu ?" "Vous ne savez donc pas la terrible nouvelle. Le général Pinochet a failli mourir au cours d'un attentat, dimanche." Interloqué, le principal répond "Mais je n'avais pas vraiment été mis au courant... Mais, enfin, en quoi tout cela te concerne ?" "Oh, vous savez, il a réussi à s'en sortir, quand même !" "Je comprends bien" Et alors?" "J'avais mis un badge en l'honneur du général que ... KKK " Lionel... Silence" "En l'honneur..." répète au bout d'un cours instant le principal. "Quoii, tu veux dire que tu plains le dictateur ???" Qu'est-ce que c'est cette histoire ? "Monsieur Duc, vous savez que le général Pinochet assure le combat de l'occident dans cette partie du monde, et que..." Il ne peut continuer.
"François, cesse ces élucubrations." Le ton est ferme "Tes opinions politiques m'apparaissent aussi originales que tranchées". Je ne suis pas chargé de te faire l'éducation civique" "Et Je te passe tes commentaires sur qui est en charge" Mais une chose est sûre. Je ne veux pas de badge. Pour qui te prends-tu ? En plus, avec le fils de mme Couvert, si sensible aux questions idéologiques" "Mais c'est un Guévara, Mr Duc""Stooop !" "Tu files en cours, et tu ne recommences pas. Même si l'interdiction des badges n'est pas clairement stipulée dans le règlement intérieur, je ne veux plus entendre parler de çà. C'est compris ?
Oui monsieur. "
*
"Oh, monsieur Fortehr !" "Où donc ?" demande le père de Paul. Ils ont pris leur place sur la tribune métallique. En ce jour de 11 novembre, tout ce que Bordeaux et sa région militaire compte de troupes défile. "Là, le monsieur avec le gros imperméable vert serré un peu haut" "Paul, je t'ai déjà dit de ne pas montrer du doigt... Ah, oui je le vois. " "Je peux aller lui dire bonjour ?" "Attends, c'est presque fini. Regarde, la compagnie instruction du 57. Quand je pense qu'il y a vingt ans, je commandais là..." "Papa, je peux... " Mais foutre, tu me pompes le l'air" Même le juron désuet de son père ne l'alerte pas particulièrement, il n'a d'autre choix que d'obtempérer. Trois minutes plus tard, les dernières unités ont quitté les Quinquonces. Des tourbillons de poussière blanche parcourent maintenant l'esplanade vide. Le son de la musique militaire s'éloigne au pas cadencé.
L'assistance se disloque après que le plus haut gradé a mis au repos le carré des officiers qui jouxte la tribune. Tout le monde se congratule, se salue. Ces mondanités ne sont pas du goût du père de Paul. Suivi de son fils, il descend les quelques marches et tombe alors nez à nez sur Mr Fortehr. "Bonjour monsieur," claironne Paul "Mes respects, mon colonel, bonjour Paul" rétorque l'enseignant dans une position proche du garde-à-vous. "Salut, Fortehr. Comment allez-vous ?" Il répond qu'il est ravi d'être là, que le défilé le remet dans un bain d'armée. "Malheureusement, je n'ai pas pu remettre ma tenue, cette année. Je me suis aperçu que le pantalon était déchiré. Il faut que je le dépose chez le maître-tailleur. Le colonel baisse un instant les yeux au niveau du ventre de son interlocuteur, imaginant le supplice de la veste, avec les boutons tendus au point de lacher". "Comme vous me voyez, je suis en tenue, mais je ne me suis pas mis dans le carrré des officiers. Depuis que je suis chez le général, rue Vital-Carles, je ne rencontre plus personne. Je ne suis plus repassé à Xaintrailles depuis mon dernier séjour, il y a six ans" "Ah l'Etat-major... " énigmatise le commandant en civil. "A Cao Bang, les ordres étaient de tenir la RC4 coûte que coûte. Et puis du jour au lendemain, on nous a dit d'évacuer. Eh bien le 14 juillet 50, je crois, Tout ce petit monde bien habillé et décoré défilait à Hanoï."
"Et oui, on a connu çà aussi", un peu vague. Il n'aime pas étaler ses états de service devant son fils. "Sinon, tout va bien avec Paul ?" Comme si on le ramenait brusquement à la réalité, le commandant laisse passer un soupir. "Oui, oui, il n'a pas plus son âme damnée avec lui, le petit Portugais ... Ah François ? Oui voilà . Il travaille bien. Je pense que le brevet va bien se passer. Car vous le savez, pour la première fois depuis longtemps, ce n'est plus une formalité sur dossier. Ils passeront trois épreuves : math, français et histoire-géo. Le ministère veut redonner un peu de lustre à l'épreuve, et rendre conditionnel le passage en seconde. "Ah ?" Le père de Paul paraît surpris, assez peu au fait de la scolarité de son dernier rejeton. "Bon.bon. Et bien, nous allons rentrer à la maison. Ma femme doit commencer à s'impatienter. Allez au revoir ajoutant un "mon commandant" protecteur."Mon colonel".
Et père et fils de se presser en direction des colonnes rostrales. Ils traversent l'avenue puis montent dans la voiture rangée sur les quais, le long d'un hangar aux murs crasseux, témoin d'une époque révolue, lorsque le port voyait transiter un intense trafic de marchandises. Dans la voiture, Paul questionne son père sur Cao Bang. Celui-ci raconte comment cette route parallèle à la frontière chinoise a été jugé essentielle dans le dispositif français. Puis comment l'Etat-major a commandé de décrocher. "Deux régiments de légion ont perdu tous leurs effectifs, en quelques jours. Après, de Lattre a tenté de rétablir la situation, mais c'était trop tard." "Ce pauvre Fortehr a combattu à Cao Bang, la citadelle réputée imprenable. Mais je n'en sais pas beaucoup plus". "Il m'a raconté en quelques mots l'an passé, lors de la réunion parents - profs" " Et vous, papa, où étiez vous ? " Moi, en 50 ? Au lycée, en seconde ou en première, je ne sais plus bien. " Pour une fois que Paul se trouve seul avec son père, il tente de lui soutirer quelques détails sur ce passé si lointain. Mais l'échange dure peu, le trajet de retour à travers des rues vides et des magasins aux devantures fermées. En ce 11 novembre, et malgré les feux, ils sont de retour en moins d'un quart d'heure.
Au dernier moment, roulant devant le monument aux morts de Caudéran, sur la pate d'oie toute proche du lycée de Paul, son père préfère évoquer un souvenir récent. "Et voilà, la mairie est venue déposer des fleurs. Quand je pense que fin août, j'ai dû accompagner Chaban lors des cérémonies pour la Libération de Caudéran. Il avait pris son manteau. Tiens le même que Fortehr, mais sans la version mongolfière. Quel triste sire, quand même. Comme si on s''était batut dans le coin. " Paul pense déjà au déjeuner qui les attend. Le laïus sur les faux résistants et les gaullistes bordelais ne présentent guère d'intérêt. En tout cas, il n'y a rien qu'il n'ait déjà entendu plusieurs fois. Il se dit quand même que son prof d'histoire rentre bien dans la catégorie des centurions. ce livre de Lartéguy feuilleté dans la bibliothèque familiale. Une sorte de centurion à la mode d'Astérix, à cause de son gros ventre.